L’autre, c’est vous, car l’autre vous révèle. Mieux : il vous fait exister. Il vous rend vivant. Comment ? Par ses paroles, ses gestes, ses regards, il dévoile, au détour d’une conversation, quelque chose de vous resté jusqu’alors dans l’ombre. L’effet est éclatant : parfois éclairant, éblouissant, aveuglant, éprouvant ; toujours frappant.
C’est donc qu’il existe bien quelque chose de l’autre qui peut résonner chez soi. Un écho qui provoque parfois une sensation de profonde compréhension, qui révèle un lien, une reconnaissance et peut-être une histoire commune. Et pourtant, cet autre était un étranger. N’est-ce pas dans ce miroir que l’individu apprend à reconnaître et à utiliser sa propre humanité ? Et par là, à faire siens le pouvoir et la nécessité de maintenir les libertés individuelles, indispensables à son fonctionnement et à celui d’une démocratie ?
Les artistes, les créateurs, à travers les questionnements qui charpentent leurs oeuvres, produisent un savoir qui permet d’accéder à une meilleure connaissance de l’autre. Dans ce numéro, la revue Portrait explore l’autre et sa place avec les écrivains, Caroline Boidé, en quête des liens qui unissent Arabes et Juifs et Pauline Guéna, partie en Amérique sur les traces de Russel Banks, Jim Harrison et tant d’autres. Mais aussi avec Michel Lebris, fondateur du festival Etonnants Voyageurs, toujours émerveillé face à la magie des visages et à la manière dont certains d’entre eux relient encore sa vie au réel. Agnès Desarthe, elle, raconte la renaissance de son lien à la musique à travers sa rencontre avec le jazzman René Urtreger. Enfin les photographes, Neak Sophal et Ronan Guillou, questionnent, à travers leurs portfolios, l’autre dans son environnement.
Rachèle Bevilacqua
Correspondance imaginaire
Lettre à Nicolas Bouvier
Nicolas Bouvier est un écrivain, photographe, iconographe et voya¬geur suisse, né le 6 mars 1929 au Grand-Lancy et mort le 17 février 1998 à Genève. En juin 1953, il part en Fiat Topolino avec Thierry Vernet de Belgrade à Kaboul, traverse la Yougoslavie, la Turquie, l’Iran et le Pakistan. Cette première partie du voyage est racontée dans l’Usage du monde, un livre devenu culte.
Par Geneviève Flaven / Illustration Célia Portet
Songs in the key of life
Agnès Desarthe, Naturel Girl
Romancière, essayiste, traductrice, Agnès Desarthe est, de toute évidence, une femme de lettres. Du moins, l’est-elle devenue. Car pour cette normalienne et agrégée d’anglais, la musique est une passion plus ancienne que la littérature. Elle publie ce printemps un ouvrage consacré au pianiste de jazz René Urtreger, et renoue, dans cette aventure qui n’est pas que littéraire, avec le chant, longtemps délaissé.
Par Laure Albernhe / Illustrations Catel
Parcours I
Zhang Sizhi, un homme debout
Zhang Sizhi a beau avoir réinventé la défense judiciaire en Chine, il déteste qu’on lui donne du “M. le grand avocat”. Se prévaloir de sa notoriété lui semble aussi ridicule que de prétendre harponner la lune dans l’eau du lac : ses procès, il les a tous perdus. Qu’il soit intervenu, de près ou de loin, dans toutes les affaires qui ont marqué la chronique judiciaire chinoise n’apaise pas son sentiment d’avoir failli : il n’a pas su éviter la prison à ceux qui comptaient sur lui pour les en sortir. Son échec à infléchir le cours de la justice a nourri sa colère, et la colère, sa détermination à se lancer dans des causes qu’il savait perdues d’avance. Rencontre avec un homme debout.
Par Judith Bout / Photos de Elisa Haberer
Portfolio
Ronan Guillou – Extrait de Angel
L’Amérique est un champ d’exploration visuelle extraordinaire pour Ronan Guillou. Il ne cesse d’y retourner. Wim Wenders dit de ses images qu’elles sont précédées par un moment magique, par le passage d’un ange, qui crée le moment photographique.
Par Miranda Salt
De la conversation
Michel Lebris, le monde est dans l’autre
Michel Lebris est un passeur d’idées. Ecrivain, fondateur du festival Etonnants Voyageurs, il enquête depuis trente ans, avec beaucoup de bon sens, sur ce que révèle une lecture, une rencontre. Il sait aujourd’hui que c’est le lien à l’autre, au monde. C’est le moment où la vie devient réelle. Vital.
Par Rachèle Bevilacqua / Photo Eric Zeziola
Si j’étais …
Amina – Une nouvelle inédite de Caroline Boidé
Caroline Boidé est romancière et poète. Dans son roman Les Impurs qui se déroule dans l’Algérie des années cinquante, elle lève le voile sur ce bastion de paix millénaire entre Juifs et Arabes musulmans. Dans Comme un veilleur attend l’aurore, elle plonge le lecteur dans un monastère chrétien d’un village arabe, en Israël. Pour elle, écrire, c’est mettre à jour les liens qui nous unissent.
Illustrations de Martin Lebrun
Carnet de bord
Texte inédit de Pauline Guéna
En 2013, Pauline Guéna, écrivain, son mari Guillaume Binet, photographe, et leurs quatre enfants partent pour un voyage d’un an en Amérique. Leur projet est de rencontrer des écrivains pour les questionner sur leur travail, leurs sources d’inspiration, leur pays. Ils en reviennent avec un livre de textes et d’images : L’Amérique des écrivains – road trip, Prix des lectrices de Elle 2015.
Parcours II
Anne Landois, la vie des autres
L’histoire d’Anne Landois, c’est celle d’une petite fille qui voulait comprendre le monde des adultes. Puis, devenue grande, le raconter. Scénariste en chef – showrunner, comme on dit outre-Atlantique – de la série Engrenages, l’une des productions françaises les plus plébiscitées de par le monde, Anne est une naturaliste du vingt-et-unième siècle. En plaçant les drames humains les plus universels et les plus intimes qui soient dans leur contexte socio-culturel, elle déchiffre et raconte, la vie des autres. La nôtre, en somme. Quand l’empathie se fait plume…
Par Henri Loevenbruck / Photos Stéphanie Dupont
Portrait Américain
Isabelle Collignon se livre
Les grands groupes bancaires ne sont pas réputés pour leur propension à l’empathie ou à la philanthropie, c’est le moins qu’on puisse dire. On les accuse plus souvent de créer la misère, voire de détruire le monde aveuglément. Isabelle Collignon y a travaillé pendant vingt et un ans, pour finalement devenir libraire. Comment la banque a-t-elle contribué à cette transformation ?
Par Julie Bonnie / Photos Paolo Bevilacqua
Portfolio
Neak Sophal – Extrait de Hang On
Neak Sophal est une jeune photographe cambodgienne hantée par un imaginaire collectif lardé de stigmates mal cicatrisés. Et peut-être plus encore par un devenir commun mondialisé gommant insidieusement tout particularisme culturel , avec un zèle comparable à celui déployé jadis par les tyrans génocidaires pour effacer visages et identités.
Par Christian Caujolle
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